Interview : la recette de l’ONG Naandi pour mobiliser des milliers d’agriculteurs en Inde

L’ONG Naandi est active dans la vallée d’Araku en Inde depuis plus de 20 ans. Elle a mis en place « la méthode Araku », une approche globale des projets de développement qui englobe toute la famille et pas seulement les revenus et l’agriculture. En 2011, le Fonds Carbone Livelihoods et Naandi ont initié la plantation de 6 millions d’arbres, dont 3 millions de caféiers. Naandi et le Fonds Carbon Livelihoods mettent à nouveau leurs forces en commun pour développer un projet de territoire avec 40 000 agricultrices et agriculteurs d’Araku. Anupama Sreeramaneni, directrice des opérations, et David Hogg, directeur du pôle agriculture de Naandi, retracent l’aventure qui a conduit au projet Livelihoods – Araku #2 et la pertinence de cette initiative qui va couvrir 18 000 hectares.

Anupama Sreeramaneni, Directrice des opérations du projet Livelihoods – Araku, ONG Naandi

Anupama est arrivée chez Naandi il y a maintenant 8 ans. Elle gère une équipe permanente de 5 personnes qui seront chargées du déploiement du projet Livelihoods – Araku #2, après avoir réussi la mise en place du premier projet où 6 millions d’arbres ont été plantés. Après une formation d’ingénieure, Anupama a travaillé dans l’informatique and le secteur de la santé aux Etats-Unis avant de revenir en Inde pour rejoindre Naandi. Grâce à ses compétences en ingénierie, elle donne vie aux différentes composantes des projets Livelihoods – Araku sur le terrain. De plus, comme elle a grandi et étudié à Visakhapatnam, la plus grande ville d’Andra Pradesh – le district où se situe la vallée d’Araku, elle parle le télugu, la langue des Adivasis. Elle a ainsi réussi à bâtir une relation de confiance avec les agriculteurs et son équipe de terrain.

David Hogg, Directeur du pôle agriculture de l’ONG Naandi

David est né en Nouvelle-Zélande, où il a étudié l’histoire et le droit. A l’âge de 20 ans, il a tout quitté pour venir en Inde et travailler dans l’agriculture. Il a débuté comme conseiller sur le café pour Naandi en 2004. Il a formé les équipes de Naandi sur des techniques de culture régénérative du café afin qu’elles puissent à leur tour former les agriculteurs. David a nourri son travail de la culture locale pour développer une agriculture essentiellement indienne. En 2009, il a rejoint Naandi à temps plein comme responsable du développement durable. Son travail consiste à distiller une véritable culture du développement durable pour que les agriculteurs puissent vivre mieux et pour attirer plus de jeunes dans l’agriculture. L’objectif est que les Adivasis voient l’agriculture comme un art de vivre et pas seulement un gagne-pain.

Livelihoods Venture: Dans le premier projet Livelihoods – Araku, 6 millions d’arbres ont été plantés par 25 000 agricultrices et agriculteurs en seulement 5 années. Comment avez-vous géré un projet de cette échelle ?

David Hogg : L’une des expertises de Naandi est de renforcer les communautés. Nous avons commencé à travailler dans la vallée d’Araku il y a plus de 10 de cela sur la santé car le taux de mortalité infantile et des mères était très élevé. C’était notre première rencontre avec cette tribu. Ensuite, nous avons travaillé sur l’accès à l’éducation pour les jeunes filles. Nous devions trouver des moyens pour augmenter les revenus des agriculteurs pour qu’ils puissent envoyer leurs enfants à l’école. Alors, nous avons travaillé sur l’agriculture. Les Adivasis pratiquaient déjà l’agriculture, par exemple pour les céréales, mais pas l’horticulture. Pour eux, les arbres étaient la forêt et c’est la Nature qui s’en occupait. Il nous a fallu faire passer l’idée que nous pouvions prendre soin des arbres. En travaillant avec les communautés, en les débarrassant des prêteurs qui prenaient des taux d’intérêts exorbitants et des intermédiaires qui profitaient de leurs productions, nous avons petit à petit gagné leur confiance. Ce sont toutes ces années passées avec les communautés d’Araku qui nous permettent d’avoir des objectifs aussi ambitieux.

“Ce sont toutes ces années passées avec les communautés d’Araku qui nous permettent d’avoir des objectifs aussi ambitieux”

David Hogg,
Directeur du pôle agriculture de l’ONG Naandi.

Anupama Sreeramaneni : La confiance et l’organisation étaient au cœur de ce projet car nous avions une fenêtre de 15 jours par an pour planter des milliers d’arbres. Dans la vallée d’Araku, l’agriculture dépend des pluies et des moussons. Nous devons planter au début de la mousson pour que les arbres puissent prendre racine et grandir jusqu’au prochain mousson. La mousson dure de juin à octobre. Peu importe le nombre d’arbres à planter, nous avions la même fenêtre de 15 jours pour le faire. Nous devions tout préparer dans les moindres détails pendant 11 mois pour un mois sur le terrain avec deux semaines de plantation. Nous avons mobilisé environ 25 000 hommes et femmes pour la campagne de plantation. Ils s’occupaient aussi des pépinières et gère maintenant le suivi. Par conséquent, nous devions avoir un engagement indéfectible des agriculteurs. Après le premier projet avec le Fonds Carbone Livelihoods, nous avons planté 5 millions d’arbres supplémentaires grâce au soutien du groupe Mahindra. Notre relation de confiance avec les Adivasis rend des projets de cette envergure possible.

“La confiance et l’organisation étaient au cœur de ce projet car nous avions une fenêtre de 15 jours par an pour planter des milliers d’arbres”

Anupama Sreeramaneni,
Directrice des opérations de l’ONG Naandi.

L.V. : Quels sont les plus grands défis que Naandi a eu à relever dans le premier projet Livelihoods – Araku ?

A.S. : Un enjeu crucial était de faire en sorte que les villageois aient les bonnes informations au bon moment. 95% des villages dans lesquels nous travaillons n’ont pas de couverture téléphonique. Malgré cela, nous devions nous assurer que les agriculteurs soient au courant des dates précises de la mousson, des passages des camions avec les jeunes plants et des consignes de plantation notamment pour respecter les distances entre les arbres et la répartition des 13 variétés d’arbres fruitiers. Nous nous sommes appuyés sur les liens communautaires très forts des Adivasis pour faire du bouche-à-oreille. Et ça a fonctionné ! Par ailleurs, les agriculteurs étaient très dubitatifs sur les balances et les prix du café. Ils n’étaient absolument pas au courant des prix de marché et n’avaient aucun moyen d’accéder à cette information. Ils étaient dépendants des intermédiaires. Au fil des années, Naandi a affirmé sa crédibilité. Nous leurs donnons des informations sur le marché et nous travaillons en toute transparence depuis le commencement.

D.H. : Le plus grand défi avec le café était la qualité. Pour avoir un café de grande qualité, les cerises devaient être récoltées au bon moment. Avant le projet, quand une cerise était rouge et même si les autres ne l’étaient pas encore, les producteurs récoltaient tout en même temps. Les cerises étaient alors séchées par des intermédiaires et la qualité était très mauvaise. Nous savions que pour que le café d’Araku survive, il fallait en faire un café de premier choix. Nous devions donc nous assurer que les cerises étaient récoltées au bon moment. Nous avions un système très décentralisé mais avec un processus centralisé. Nous avons appris aux agriculteurs à reconnaître quand une cerise était suffisamment rouge, ce qui a donné lieu a beaucoup de fous rires sur les 50 nuances de rouge. Et la magie a opéré quand les cerises étaient cueillies au moment idéal et que les camions étaient juste à temps pour les collecter. Chaque étape du champ à la coopérative était essentielle pour la qualité et le génie d’Anupama et de son équipe a été de réussir à opérationnaliser ce processus de qualité.

“Le projet Livelihoods – Araku #2 vient combler un besoin immense pour les agriculteurs d’Araku”

Anupama Sreeramaneni,
Directrice des opérations de l’ONG Naandi.

L.V. : Le projet Livelihoods – Araku #2 vise à améliorer la vie de 40 000 agriculteurs et agricultrices avec la restauration de 18 000 hectares. Qu’est-ce qui le différencie du premier projet mis en place en 2011 ?

D.H. : Le premier projet Livelihoods – Araku était centré sur la plantation d’arbres. Dans le projet Livelihoods – Araku #2, nous allons travailler sur une plateforme avec de multiples activités. Nous allons introduire des pratiques agricoles durables dans la culture du café, des céréales et des légumineuses, du bois de chauffe, du fourrage et dans la plantation d’arbres. Nous allons avoir plusieurs activités pour chaque culture : compostage, cultures de couverture, rotation, haies, sélection des variétés, etc. ça va être beaucoup plus intense cette fois. C’est comme si nous allions vivre dans le jardin de chaque agriculteur car nous allons devoir être en contact avec eux presque chaque jour. Le projet Livelihoods – Araku #2 va ouvrir plein de nouvelles opportunités. Par exemple, comme nous allons travailler sur les céréales, nous allons pouvoir encourager les familles à avoir un potager et ainsi travailler sur la nutrition.

A.S. : Ce projet va nécessiter plus de formation et de suivi. Par exemple, nous allons devoir expliquer pourquoi la production de fourrage est aussi importante que le café qui est une culture de rente et nous devrons nous assurer que les agriculteurs travaillent bien sur les différentes cultures. Le suivi précis des pratiques agricoles durables sera crucial car il permettra d’évaluer l’impact du projet. La réussite du suivi et la fiabilité des données va dépendre de 3 leviers : la formation, les procédures et la technologie. Nous allons former des jeunes pour documenter et pour suivre le projet. Nous allons devoir construire des procédures qui seront encore pertinentes dans 20 ans, la durée du projet. Les agriculteurs vont entrer et sortir du projet et nous devons assurer une continuité du suivi. Enfin, nous allons utiliser le digital pour rendre le suivi et l’évaluation du projet aussi simple et visuel que possible. Ce sera un beau défi à relever dans une région avec peu de couverture réseau.

“Plutôt que le traditionnel « plante, oublie et prie », nous allons mettre en place une véritable science de l’agriculture ”

David Hogg,
Directeur du pôle agriculture de l’ONG Naandi.

L.V. : Pourquoi pensez-vous que l’approche « territoire » du projet Livelihoods – Araku #2 est pertinente ?

A.S. : Je suis très confiante car cette approche territoriale vient combler un immense besoin pour les agriculteurs d’Araku qui n’ont pas accès à des techniques d’agriculture durable et qui sont très désireux d’apprendre. Nous devons nous assurer que les agriculteurs sont bien engagés dans le projet. Ça viendra quand ils verront leurs revenus augmenter et que leurs enfants peuvent aller à l’école. Les Adivasis sont fiers d’être agriculteurs et nous devons faire en sorte que les jeunes continuent d’en être fiers. C’est la seule façon de lutter contre l’exode rural. Par ailleurs, il y a une grande homogénéité dans la vallée. Les habitants se considèrent comme les Adivasis, les premiers peuples de l’inde. Seul un membre de la tribu peut posséder de la terre dans la vallée. Il n’y a par conséquent pas de spéculation foncière et c’est un facteur clé de succès pour l’approche territoriale.

D.H. : Les pratiques agricoles durables vont structurer l’agriculture dans la vallée alors que les fermiers faisaient du bio par défaut jusqu’à présent. Plutôt que le traditionnel « Plante, oublie et prie », nous allons mettre en place une science de l’agriculture. Nous allons nous appuyer sur les résultats du projet Livelihoods – Mont Elgon au Kenya. En ajoutant plus de matière organique dans le sol, grâce au compostage, aux cultures de couverture, etc., il deviendra de plus en plus fertile. Les agriculteurs auront plus de revenus et, d’ici quelques années, leurs cultures devraient être moins dépendantes des pluies car le sol pourra conserver de l’humidité plus longtemps. Et la magie de tout ce projet c’est que les entreprises qui ont investi dans le Fonds Carbone Livelihoods vont avoir des crédits carbone suivant l’augmentation de la fertilité du sol de la vallée. Comme le projet est sur 20 ans, nous pouvons envisager un système agricole à long-terme tout en ayant des résultats très rapidement. Tout cela est très motivant !

Discover the Livelihoods Araku #1 project:

Photos : Hellio-Vaningen/ Livelihoods Funds; David Hogg; The Naandi Foundation.