Interview – Le défi des standards carbone : conjuguer impacts climatiques et sociaux

La réduction de notre empreinte carbone est inéluctable si nous voulons laisser une planète viable aux générations futures. Comment le faire avec des solutions qui contribue en même temps à créer de la stabilité sociale ? Marion Verles, Directrice Générale du Gold Standard, et Bernard Giraud, Président de Livelihoods Venture, partagent leurs points de vue sur les opportunités offertes par l’économie du carbone pour atteindre cet objectif.

Livelihoods Venture : Depuis sa création, le Gold Standard cherche à conjuguer impacts climatiques et sociaux. Pourquoi et comment mettez-vous en place cette démarche ?

Marion Verles : Le Gold Standard a été créé par le WWF et d’autres ONG internationales qui ont constaté que les projets pour le climat développés dans le cadre du Mécanisme pour un Développement Propre (MDP) issu du Protocol de Kyoto ne répondaient pas toujours aux exigences environnementales et ne prenaient pas en compte les critères de développement durable. Ces deux éléments sont donc devenus les critères clés de tous les projets certifiés par le Gold Standard. Nous avons très vite pu démontrer qu’il était possible de générer des impacts sociaux grâce aux projets de compensation carbone. En effet, les bénéfices engendrés par les volets de développement des projets conduisent à de plus grands résultats pour le climat. Désormais, tout particulièrement dans le marché volontaire du carbone, le développement durable est devenu la norme. Les entreprises qui achètent des crédits carbone certifiés par le Gold Standard se focalisent sur les impacts sociaux : la santé, les emplois, l’accès à l’énergie et à l’eau potable. C’est ce qui intéresse vraiment les gens. La réduction des émissions carbone est quasiment perçu comme un bénéfice « collatéral ». Maintenant, avec l’accord de Paris sur le climat et les Objectifs de Développement Durable des Nations Unies, il est évident que l’action climatique ne peut pas se faire à grande échelle sans résultats sur le développement et vice-versa.

LV : Qu’en est-il des Fonds Livelihoods ? Pourquoi et comment vous appuyez-vous sur l’économie du carbone pour atteindre des objectifs sociaux ?

Bernard Giraud : Les Fonds Livelihoods investissent principalement dans des communautés rurales qui sont à la fois victimes de la pauvreté et de la dégradation de leurs ressources naturelles (le sol, l’eau, la biodiversité), les deux étant liées. Les communautés rurales sont donc les acteurs clés de nos projets carbone qui visent à améliorer durablement leurs conditions de vie. Pour nous, les enjeux sociaux et environnementaux ne peuvent pas être dissociés. L’économie du carbone peut être un moyen efficace de faire se rencontrer deux modes en apparence très éloignées : les communautés rurales de pays en développement et les entreprises. En fait, elles font toutes les deux face au même défi. Les entreprises doivent réduire leur empreinte environnementale en transformant en profondeur leurs activités ainsi que leurs chaînes d’approvisionnement et compenser les émissions qu’elles ne peuvent réduire. En investissant dans des initiatives telles que le Fonds Carbon Livelihoods ou le Fonds Livelihoods pour l’agriculture familiale, les entreprises apportent le préfinancement nécessaire pour éviter ou réduire les émissions de grandes quantités de CO2 tout en améliorant la vie de ces communautés. Par exemple, notre projet de foyers améliorés au Pérou peut toucher des villages isolés grâce à la finance carbone. Les femmes et les enfants bénéficient directement du projet tandis que les entreprises reçoivent des crédits carbone à haute valeur sociale et environnementale. Quand ils sont bien utilisés, les mécanismes carbone peuvent créer de la valeur partagée.

« La réduction des émissions carbone est quasiment perçu comme un bénéfice collatéral. »

Marion Verles, Directrice Générale du Gold Standard.

LV : Pensez-vous que les standards et les marchés du carbone ont généré les résultats attendus ? Comment augmenter leur impact ?

B.G: Les standards carbone apporte de la rigueur dans la mesure et le suivi des projets, ce qui contribue à créer de la confiance. Pour être certifiés, les crédits carbone doivent être mesurés selon des méthodologies approuvées par des scientifiques et des institutions internationales. Chaque projet est audité par une tierce-partie et vérifié par les standards avant l’émission des crédits carbone. Si ce processus apporte de solides garanties aux parties prenantes d’un projet, il n’en demeure pas moins complexe et relativement couteux. Les standards exigeants ne prennent pas seulement en compte l’impact carbone mais aussi les bénéfices environnementaux et sociaux supplémentaires. Le défi est donc d’élargir le spectre. Par exemple, en agriculture il faut pouvoir mesurer le cycle complet du carbone dans le sol, les végétaux, le bétail, les intrants, etc. Il faut aussi pouvoir simplifier le processus de certification pour le rendre accessible au plus grand nombre d’acteurs.

M.V: En effet, les standards carbone rigoureux ont agi comme des incubateur d’innovations pour trouver de nouvelles façons de maximiser l’impact des projets de réduction des émissions. Par exemple, dans certains projets du Gold Standard, les familles reçoivent des foyers améliorés mais aussi un accès à l’eau potable ou des formations sur la gestion du budget domestique. Malgré l’étendue des bénéfices apportés par les projets, il est vrai que la compensation carbone n’est pas devenue une pratique courante dans les entreprises. Cela est notamment dû à une mauvaise perception de la compensation comme un substitut pour la réduction des émissions internes. Mais les standards carbone doivent évoluer pour être agiles et adaptables à un plus grand champ d’interventions, y compris au sein des chaînes de valeur des entreprises, comme souligné par Bernard.

« L’économie du carbone peut faire se rencontrer des mondes en apparence très éloignées. »

Bernard Giraud, Président & cofondateur de Livelihoods Venture.

L.V : Jusqu’à présent, les marchés du carbone ont atteint une taille limitée et les prix n’ont pas augmenté malgré un engagement grandissant des secteurs public et privé sur le climat. Comment voyez-vous leur avenir ?

M.V: Tout d’abord, les marchés et les standards carbone devront se plier aux nouvelles règles, en cours d’élaboration, de l’Accord de Paris. Ce qui est sûr, c’est que le principe fondamental des marchés carbone – financer la réduction des émissions grâce aux efforts des émetteurs – est nécessaire pour atteindre l’ambition de l’Accord de Paris pour préserver un climat sain pour notre planète. Par conséquent, les marchés du carbone portent leurs réussites de ces 15 dernières années – leur fiabilité pour quantifier et certifier les impacts et leur capacité à attirer des financements pour réduire les émissions de carbone et améliorer les conditions de vie des bénéficiaires des projets – vers une nouvelle ère. Avec l’avènement de nouvelles technologies – comme les capteurs à distance, le suivi par satellite et le blockchain pour identifier, certifier et transférer les impacts à travers une chaîne de valeur – nous pouvons mettre sur pied des systèmes rigoureux et automatisés pour considérablement réduire les coûts de la certification et assurer leur déploiement rapide à grande échelle.

B.G: Une priorité essentielle des entreprises mais aussi d’acteurs publics comme les villes est de réduire leur empreinte carbone à travers une vraie transformation de leurs activités et en s’appuyant sur les innovations ainsi que sur de nouveaux modèles économiques. Malgré quelques résistances des anciens modèles, cette tendance s’accélère partout dans le monde et les contours d’une nouvelle économie du carbone se dessinent. Néanmoins, les grandes entreprises et les villes ne peuvent pas atteindre une faible empreinte carbone ou la neutralité avec la réduction seulement. Ils doivent faire de la compensation, c-à-d s’appuyer sur des réductions ou des compensations en dehors de leur propre champ d’activités. Elles peuvent par exemple soutenir des projets de reforestation, d’agriculture durable ou de préservation des écosystèmes côtiers qui séquestrent de grandes quantités de carbone.

Photos : Sandro Di Carlo Darsa, Bernard Giraud.

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