Burkina Faso : un partenariat public-privé pour contrer l’avancée du désert et la dégradation des terres

Au Sahel, plus que partout ailleurs, le changement climatique est une réalité qui frappe durement les populations rurales. Dans les provinces du Bam et du Lorum, au nord du Burkina Faso, les arbres laissent peu à peu place au désert. Les habitants n’ont guère le choix que de couper les arbres dans ces zones rurales où le bois est la seule source d’énergie pour cuisiner. De plus, l’avancée du désert et l’épuisement des sols contraint les villageois à défricher des forêts ou à laisser leur bétail y pâturer pour continuer à nourrir leurs familles et avoir un revenu.

Pour renverser cette tendance, le fonds Livelihoods apporte son appui à un projet de foyers améliorés et de transformation des pratiques agricoles. Le projet a un double objectif : d’une part réduire la consommation de bois et donc la coupe des arbres et, d’autre part, restaurer les surfaces plantées par des techniques d’agroforesterie qui permettent d’accroître les rendements et de mieux résister à la sécheresse. Le projet, qui concerne 150 000 villageois, sera soutenu par le fonds Livelihoods pendant 10 ans. Il est soutenu par l’Agence Française de Développement (AFD) (lire l’interview de Christophe Du Castel) et mis en œuvre sur le terrain par l’ONG locale tiipaalga, avec la participation de SOS Sahel, une ONG active sur l’ensemble du Sahel et du CIRAD, un organisme de recherche international.

La force de ce projet : mettre en œuvre à grande échelle des techniques simples, accessibles au plus grand nombre et adaptées aux conditions locales. Par exemple : les foyers améliorés ne sont pas importés ou achetés à un fabricant. Ils sont fabriqués par les femmes elles-mêmes en « banco », un mélange d’argile de termitière, de paille et de crottin d’âne. Résultats : pas d’obstacle financier pour les femmes, une réelle appropriation et des taux d’utilisation très élevés dans les villages. Des principes analogues sont mis en œuvre en agroforesterie avec l’objectif de répliquer ce modèle de village en village.

Autre spécificité de ce projet : un modèle financier de paiement sur résultats qui associe un fonds d’investissement créé par des entreprises privées, le fonds Livelihoods, et une institution de développement publique, l’Agence Française de Développement. Le fonds Livelihoods préfinance le déploiement du projet et sa maintenance par l’ONG tiipaalga et reçoit progressivement des crédits carbone. L’AFD apporte son concours sous forme d’une subvention dont le paiement est aussi en partie conditionné aux résultats concrets du projet.

Les femmes des villages en première ligne

Il est 9h00 du matin dans le village de Guibaré, situé à 2 heures de route au nord de Ouagadougou. Antonie, animatrice de l’ONG tiipaalga, réunit les femmes leaders du village pour préparer la formation. Elle les appelle avec affection « mes Monitrices Endogènes », « mes ME ». Autour, une cinquantaine de femmes du village observent avec curiosité. A Guibaré il y a 10 « ME ». Elles expliquent à Antonie que pour rassembler tous les ingrédients nécessaires à la fabrication des foyers améliorés, notamment l’eau, elles ont dû aller loin. En ce milieu de mois de mai, les sources d’eau sont presque toutes taries et les points d’eau proches du village sont réservés au bétail, en attendant les pluies de fin juin. Antonie explique que ce temps est un bon investissement : grâce aux foyers améliorés qu’elles vont construire, elles vont passer chaque semaine deux fois moins de temps à ramasser du bois pour cuisiner. Avec en plus avec un foyer qui entoure bien le feu et qui les protège, elles et leurs enfants, des fumées toxiques et des brûlures. La formation peut commencer dans la bonne humeur et sous le regard d’une foule qui s’est densifiée.

« Une famille consomme au moins 3 tonnes de bois par an avec un foyer traditionnel composé de trois pierres posées à même le sol. C’est une quantité énorme dans un pays où il n’y a plus de forêts », explique Franciska Kaguembega, présidente de l’ONG tiipaalga (en langue moré, parlée dans certaines régions du Birkina Faso, tiipaalga signifie « nouvel arbre »). Les foyers améliorés permettent de réduire de 60% la consommation de bois, sans aucun coût financier pour les femmes. Elles les fabriquent de leurs propres mains avec des ingrédients collectés localement : eau, argile, paille et crottin. Fabriquer un outil de cuisson qui optimise les dépenses de combustible sans aucun outil, avec des ingrédients 100% locaux et avec un cahier des charges strict relève de la prouesse. tiipaalga a réussi à transformer des calculs d’ingénieurs en messages simples : la marmite sera positionnée un pouce levé au-dessus du sol, l’ouverture du four sera de la taille d’une boite de conserve de tomate, il y aura un doigt entre la marmite et le bord du foyer.

En quelques mois, le projet Livelihoods a déjà permis à plus de 11 000 familles de s’équiper d’un foyer amélioré. L’objectif est d’atteindre rapidement 30 000 familles, ce qui équivaut à éviter la coupe de 4 millions d’arbres et l’émission de 700 000 tonnes de CO2 sur 10 ans.

Des pratiques simples pour nourrir la terre et les hommes

Le Burkina Faso compte en moyenne 3 à 4 mois de pluies par an. Un vrai défi pour l’agriculture, qui fait vivre 80% des burkinabés. Depuis début 2016, le projet Livelihoods intègre la formation des agriculteurs de 30 villages à des pratiques agricoles simples et efficaces pour leur permettre de redonner de la fertilité aux sols, dégradés par la sécheresse, le surpâturage et l’érosion. L’eau est le principal défi : à la fois le miracle tant espéré mais aussi la force destructrice, lors des pluies torrentielles, qui balaye les cultures et érode les sols fragilisés après de longs mois de sécheresse.

Désormais, des alignements de pierres suivent les lignes de niveau des champs, donnant l’impression d’un cortège minéral qui s’étend vers l’horizon. Ces cordons pierreux permettent, lors des averses, de rompre le ruissellement violent de l’eau pour lui laisser le temps de s’infiltrer dans le sol et ainsi retenir les éléments nutritifs qu’elle charrie. Autour, des cavités par centaines ponctuent le sol, comme si le paysage était devenu une œuvre pointilliste. C’est le Zai, une technique née au Burkina Faso qui permet de collecter l’eau dans de petits creux où l’agriculteur concentre les semis et le compost. Le peu d’eau disponible est ainsi dirigée là où elle est nécessaire. Et, peu à peu, éparpillés dans les champs, quelques arbres réapparaissent : les agriculteurs apprennent à reconnaitre les espèces qui apporteront de la fertilité au sol ou bien fourniront des fruits précieux, et à les protéger de la dent du bétail jusqu’à ce qu’ils atteignent une taille suffisante pour survivre.  Plus loin, un bâtiment fait office de « coffre-fort ». C’est le lieu où les agriculteurs stockent les produits agricoles juste après la récolte contre un paiement de 80% de la valeur du marché. Les paysans peuvent retirer leur production 6 mois plus tard, en période de carence sur les marchés, pour la consommer ou la revendre à un bon prix, en remboursant le paiement initial avec un intérêt. Ce système de « warrantage », développé par SOS Sahel, rend les agriculteurs moins vulnérables aux fluctuations du marché et à la saisonnalité. D’autres pratiques seront mises en place dans le cadre du projet avec l’objectif de permettre aux agriculteurs d’augmenter leur production agricole, sans dégrader l’environnement, pour améliorer leurs conditions de vie.

 « Quand les agriculteurs ont la possibilité d’accéder à des techniques et des savoirs facilement appropriables avec un niveau d’investissement adapté à leur situation financière, ils peuvent sortir de ce cycle vicieux où la production agricole se fait au détriment de l’environnement. En réunissant les forces du public, du privé et des ONG dans des coalitions efficaces, on peut avoir un large impact », souligne Bernard Giraud, président de Livelihoods Venture.

Une coalition d’acteurs public-privé

 Une particularité de ce projet est la complémentarité entre les différents acteurs. Le fonds Livelihoods est un fonds d’investissement qui préfinance des projets en apportant aux développeurs les moyens nécessaires à la mise en œuvre sur le terrain. En contrepartie du risque pris, le fonds reçoit des crédits carbone sur une durée de 10 ans. Il les distribue aux entreprises qui ont investi dans le fonds, qui les utilisent pour compenser une partie des émissions qu’elles ne peuvent réduire à zero. Ce modèle d’investissement est possible grâce aux engagements à long-terme des entreprises qui font confiance au fonds pour leur apporter des crédits carbone à haute valeur sociale et environnementale. L’AFD apporte le soutien financier nécessaire sous forme d’une subvention pour mettre en œuvre la formation des agriculteurs et la diffusion des pratiques Avec la particularité qu’une partie de la subvention de l’AFD sera liée aux résultats générés par le projet. « L’AFD participe à la dynamique collective mise en place par le secteur privé sur le volet foyers améliorés en soutenant la promotion de pratiques agricoles plus durables », dit Christophe Du Castel, de la Division Agriculture, Développement Rural et Biodiversité de l’AFD.

L’ONG tiipaalga, grâce à son ancrage fort dans ces territoires, à ses méthodes d’animation et à la rigueur dans la conduite du projet, crée une dynamique locale qui permet au projet de se déployer rapidement grâce à l’adhésion des villageois. L’ONG SOS Sahel, qui dispose d’une vaste expérience d’intervention dans les pays sahéliens, apporte à ce projet une expertise spécifique sur le « warrantage » pour améliorer la commercialisation des productions locales et une meilleure valorisation pour les producteurs.

Enfin, l’impact du projet sera mesuré avec l’appui du CIRAD qui va mettre en place des outils permettant aux paysans de suivre eux-mêmes les progrès réalisés Ces outils de mesure seront accessibles à toutes les organisations qui souhaiteront les utiliser au Sahel ou ailleurs.

De nouveaux défis à relever pour le Sahel

Les experts estiment que la température au Sahel va augmenter de 2 degrés d’ici 20 ans et de 3 à 5 degrés d’ici 2050. Une telle hausse de température conduirait à des chutes de rendements agricoles de 15 à 40%. Une catastrophe dans l’une des régions les plus pauvres du monde et où la population double tous les 20 ans. Devant de tels enjeux pour le Sahel, il est nécessaire et urgent de mettre en œuvre des modèles nouveaux qui associent compétences et moyens de différents acteurs avec une priorité donnée aux résultats. Le projet Livelihoods au Burkina Faso est une tentative qui va dans ce sens. Il en faudra beaucoup d’autres.