Interview : Comment des entreprises peuvent-elles améliorer les revenus des producteurs de noix de coco aux Philippines tout en rendant leurs activités plus résilientes ?

L’objectif du projet Noix de coco – Livelihoods est de doubler les revenus de 5 000 producteurs de noix de coco dans les Philippines. Il sera possible grâce à l’engagement d’achat sur 10 ans de Mars, Inc., un investisseur du Fonds Livelihoods pour l’Agriculture Familiale, et Franklin Baker, un transformateur de noix de coco et un fournisseur de Mars. Jerry Lorenzo, directeur général de Franklin, échange avec Eric Servat, directeur du développement de Livelihoods Venture, sur motivations de son entreprise de plus de 120 ans pour s’engager dans ce projet.

Jerry Lorenzo, Directeur Général de Franklin Baker
Jerry est né aux Philippines et a grandi aux Etats-Unis où ses parents avaient émigré. Il a choisi de faire ses études de gestion d’entreprise aux Philippines afin de renouer avec son héritage. Il est ensuite retourné aux Etats-Unis et a travaillé dans le secteur pétrolier pour la famille Chandran, la même famille qui est aujourd’hui propriétaire de Franklin Baker. Depuis 1997, Il a été le directeur financier de la compagnie pétrolière de la famille Chandran et a fait entrer l’entreprise en bourse en 2006. Il a rejoint Franklin Baker en 2013 et il a lancé de nombreuses initiatives pour la responsabilité sociétale de l’entreprise (logements pour des communautés défavorisées, programmes médicaux et dentaires, plantation d’arbres…). Il souhaite aujourd’hui aller encore plus loin pour rendre l’activité de Franklin Baker plus inclusive avec le projet Livelihoods – Noix de coco.

Eric Servat, directeur du développement de Livelihoods Venture
Eric a travaillé pendant 17 ans dans les achats pour des entreprises dans les produits de grande consommation. Il a ensuite changé de carrière et a passé près de 10 ans dans des ONG d’aide humanitaire et de développement. En Afrique, Asie et Amérique du sud, il s’est rendu compte de la dureté de la vie pour les petits fermiers isolés et déconnectés de marchés stables. Il a alors axé son travail sur la création et la gestion de partenariats publics – privés dans le cacao, les épices des huiles tropicales. Il a rejoint Livleihoods Venture en 2016 et a piloté avec son équipe l’élaboration du projet Noix de coco – Livelihoods avec Mars, Franklin Baker et IRDF.

Livelihoods Venture : Jerry, pouvez-vous nous présenter Franklin Baker en quelques mots ?

Jerry Lorenzo : L’histoire de Franklin Baker a commencé il y a plus de 120 ans quand Franklin Baker Senior, un meunier de Philadelphie qui vendait de la farine aux Cubains, a reçu toute une cargaison de noix de coco comme paiement de l’un de ses clients. Il a transformé les noix et a réussi a créé un marché significatif de noix de coco desséchée aux Etats-Unis en faisant des tartes à la noix de coco la deuxième meilleure vente après les tartes aux pommes et avant celles au chocolat. Le marché est devenu suffisamment conséquent et Franklin Baker a créé la première usine de noix de coco desséchée aux Philippines en 1921 pour assurer un plus grand approvisionnement. Notre entreprise propose une large gamme de produits qui comprend la noix de coco desséchée, l’huile de coco vierge, la farine de coco, etc. En 2006, après une riche histoire, l’entreprise a été rachetée majoritairement par une famille philippine qui souhaitait perpétuer son héritage la faire grandir tout en étant plus durable. Nous sommes vraiment dans un processus de transformation. Nous savons que le cœur de l’entreprise, ce sont les fermiers car ils sont au début de la chaîne. C’est pour cela qu’il est primordial pour nous de mettre en place une relation directe avec les producteurs.

Livelihoods Venture : Le marché de la noix de coco est en plein essor et pourtant les producteurs philippins ont des revenus très bas. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

Jerry Lorenzo : Il y a 30 ans environ, le gouvernement philippin a fait une réforme agraire qui stipulait qu’un producteur ne pouvait pas posséder plus de 5 ha. Par conséquent, les revenus des producteurs ont diminué car leurs économies d’échelle et leur productivité ont baissé. Comme les petits producteurs sont dispersés, ils ont très peu d’influence politique pour changer la donne. Avec moins de revenus, les producteurs sont moins solvables. Ils doivent donc se tourner vers des intermédiaires et des négociants qui les aident financièrement mais à un taux très élevé. Les producteurs ne peuvent jamais sortir de leur endettement. Les producteurs de noix de coco philippins sont les plus pauvres du pays. Franklin Baker est désormais une entreprise philippine. Nous estimons que c’est notre devoir de contribuer à changer la situation car 25 millions de philippins dépendent directement ou indirectement de la noix de coco.

Eric Servat : Jusqu’à présent, personne n’a vraiment perçu l’intérêt d’investir dans la chaîne de valeur de la noix de coco car il y a des noix partout. La plupart des fermiers de Mindanao, là où le projet du Fonds Livelihoods est mis en œuvre, ont en moyenne 50 ans et les cocotiers sont aussi vieillissants. Il n’y a pas vraiment de plan de transmission vers la nouvelle génération. Les producteurs n’ont pas de soutien et ils abandonnent l’agriculture car ils ne voient pas comment rendre leur ferme durable. C’est terrible car cette situation pourrait s’inverser grâce à des actions simples. L’ambition du projet Noix de Coco – Livelihoods est de permettre d’accéder à tout le potentiel de la culture de la noix de coco et d’améliorer leurs revenus en les reliant plus efficacement au marché et en développant de nouvelles activités pour les jeunes et les femmes.

 

“Nous sommes très confiants car chaque partenaire a de vrais enjeux”,
Jerry Lorenzo, Directeur Général de Franklin Baker

 

L.V.: Pourquoi est-ce si compliqué de s’approvisionner directement auprès des petits producteurs aux Philippines

J.L. : C’est très difficile parce qu’on n’a pas affaire à quelques producteurs mais à des milliers de producteurs éparpillés sur le territoire. C’est pour cela que les intermédiaires et les négociants ont trouvé un rôle très important. Nous sommes déjà en contact direct avec quelques producteurs et le projet Noix de coco – Livelihoods est notre premier programme d’approvisionnement direct à grande échelle. Le projet va organiser les producteurs dans des groupes. C’est un peu comme si la réforme agraire avait dispersé les producteurs et que le projet allait les réunir à nouveau. En collaborant avec le Fonds Livelihoods et Mars, nous sommes en mesure de proposer un accompagnement aux producteurs à travers les groupes et replanter à grande échelle pour améliorer la productivité et éviter toute pénurie d’approvisionnement.

E.S. : Il faut réunir les bonnes compétences et expertises pour dialoguer régulièrement avec 5 000 fermiers éparpillés. Le partenariat avec IRDF est très précieux. IRDF a une grande expérience avec les petits producteurs et sait comment mobiliser les communautés locales et les associations d’agriculteurs. Trouver les bons partenaires est indispensable pour entamer un changement en profondeur. Un seul acteur ne peut pas s’attaquer à tous les problèmes de la chaîne d’approvisionnement. Franklin Baker et Mars vont créer les conditions de marché nécessaires pour améliorer les revenus des fermiers et IRDF va les mobiliser à travers leurs associations et les coopératives. Le Fonds Livelihoods agit comme un catalyseur et une plateforme où toutes les parties prenantes peuvent travailler ensemble avec une gouvernance partagée.

L.V. : Il existe d’autres initiatives pour soutenir les producteurs de noix de coco. Qu’est-ce qui distingue le projet Noix de coco – Livelihoods ?

E.S. : Nous avons un projet totalement intégré pour augmenter la productivité des fermes familiales, mettre en place un mécanisme de prix transparent et diversifier les activités des producteurs pour les rendre moins vulnérables aux fluctuations du marché et au changement climatique. Le projet leur donne aussi un accès stable au marché avec Franklin Baker et Mars et le projet s’étend sur 10 ans. Cela fait toute la différence pour s’adapter au contexte local et engager une transformation sociale graduelle. C’est un signal très fort pour les producteurs car nous leur disons que nous serons toujours là dans 10 ans. Ils peuvent pleinement s’investir dans le projet et planifier à long-terme. Notre objectif est que ce projet attire plus de jeunes dans la culture de la noix de coco. Nous n’arrivons pas avec un projet universel. Nous avons la flexibilité pour adapter notre projet avec différentes activités et modules pour nous assurer qu’il bénéficie à chaque projet.

 

“Notre objectif est que ce projet attire plus de jeunes dans la culture de la noix de coco”,
Eric Servat, directeur du développement de Livelihoods Venture.

 

J.L. : Quand le Fonds Livelihoods nous a contactés, nous étions déjà en train de réfléchir à la mise en place d’un programme d’approvisionnement direct. Donc le timing était parfait. L’approche de L’équipe du Fonds Livelihoods était très professionnelle. Elle savait où elle voulait aller et comment atteindre les objectifs. Le Fonds Livelihoods porte le risque financier. IRDF forme les fermiers. Nous remboursons le Fonds en fonction du nombre de noix de coco produit dans le projet et Mars nous achète la noix de coco desséchée. Nous avons tous les ingrédients pour réussir. Maintenant, c’est une question de mise en œuvre mais nous sommes confiants car chaque partenaire a de vrais enjeux. Le projet va nous fournir environ 10% de notre approvisionnement mais nous sommes prêts à répliquer le projet ailleurs dans le pays pour arriver à 100%. Franklin Baker transformait environ 600 000 noix de coco par jour en 2006 et nous voulons arriver à plus de 2 millions prochainement. Nous voulons faire grandir l’entreprise et générer plus de valeur pour les producteurs en même temps. Quand le projet aura fait ses preuves, nous espérons qu’il sera repris partout aux Philippines pour améliorer les conditions de vie de tous les producteurs de noix de coco philippins.

Photos: Adobe Stock/ lzf; FRanklin Baker; Livelihoods Funds.

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